Cinquème dimanche de carême (année A)

Auteur: Dominique Collin
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : A
Année: 2019-2020

Dominique Collin
Dimanche 28 mars



Comment lire un passage d’évangile en cette période tout à fait particulière et, pour certains, angoissante ? En apportant devant le texte les préoccupations qui sont les nôtres afin de voir comment il réagit. C’est à cette condition que le texte de l’évangile, surmontant son opacité originelle, peut redevenir parole vive, parole parlante, s’adaptant à notre situation pour nous offrir une compréhension nouvelle de ce qui nous arrive.

Nos préoccupations sont globalement au nombre de trois : concernant le Covid-19, au sujet du confinement et, enfin, concernant l’après-confinement.

En rapport à la première, Jésus, dans le récit de ce jour, parle d’une « maladie qui ne mène pas à la mort » mais qui servira à manifester la gloire de Dieu et celle de son Fils. Oui, toute maladie ne conduit pas à la mort, à commencer par celle que Jean désigne ici : asthénia, asthénie, cette langueur, cette lassitude qu’on entend dans le mot « neurasthénique ». Que pour ma part je désigne par le néologisme dévivre, et qui signifie : non pas mourir mais cesser de vivre. Le dévivre, telle est cette lassitude insidieuse, qui s’accroche à toutes les maladies, comme le Covid-19, mais aussi qui se déclare quand manque tout courage de vivre.

Le remède au dévivre ? La foi, comme le souligne l’évangile de ce dimanche. Mais pas n’importe quelle foi : celle qui espère, c’est-à-dire, celle qui ne se résout jamais à dire : « Maintenant, c’est trop tard ». Sans espérance, on ferme tout.

On a tout fermé, ou presque. C’est le confinement. On se confine chez soi pour respecter d’évidentes règles sanitaires. Mais on se confine aussi parce qu’on a peur. Et à la peur du danger extérieur s’ajoute la peur de rester à l’intérieur, la claustrophobie. Quand on se confine par peur, le lieu qu’on habite finit par ressembler à un mausolée, un tombeau. On y vit, que dis-je ?, on y dévit de manière sépulcrale, hébété, démoralisé, et comme absent à soi-même et aux autres. Et à la longue, comme Lazare, on finit par sentir la peur, par sentir la mort de la lassitude de vivre.

Le remède à l’épreuve du confinement ? « Déliez-le et laissez-le aller », dit Jésus. Quand le corps est confiné, il n’y a qu’une chose à faire : délier notre esprit. Cet esprit que nous tenons le plus souvent en laisse, le voilà qui aspire à la liberté. Laissez-le aller, vagabonder, respirer, réfléchir, méditer, prier, jouer, écouter, penser à nouveaux frais, imaginer, faites feu de tout bois pour donner à votre esprit de la hauteur et de la profondeur. N’ayez pas pas peur de remettre en cause les croyances qui vous paraissaient hier encore évidentes. Déjà, elles ne tiennent plus la route. Ce dont nous aurons besoin pour la vie d’après, c’est d’esprits déliés, vraiment libres.

Si le Covid-19 et le confinement qu’il entraîne nous angoissent, c’est parce que nous ne connaissons pas encore la fin de l’histoire. Comment bien de temps cette épreuve, épuisante pour certains, va-t-elle durer ? Et comment en sortirons-nous ? Différents ? Est-ce que cela va changer nos manières de vivre ? Allons-nous reprendre nos mauvaises habitudes d’avant ? Une chose est possible, assez inattendue en réalité : quand nous en sortirons, nous serons tous des survivants, comme Lazare. Dans un premier sens, survivre, c’est échapper à la mort. Mais dans un sens beaucoup plus fort, c’est revenir d’entre les morts. C’est, de notre vivant, résister à la non-vie, échapper au dévivre. Autrement dit, seul un Vivant peut revenir d’entre les morts ; les morts, de leur vivant, ne peuvent que mourir. Cette vérité nous dit beaucoup : quand le temps du confinement sera derrière nous, ce ne sera pas pour reconduire le temps d’avant mais pour créer le temps d’après, le temps pour une vie plus vraie, plus vivante, revenue de la mort.

Dominique Collin, o.p.