A la lecture de l'évangile de ce jour, une question me taraude l'esprit : Jésus serait-il un peu jésuite ? En effet, à la question de Pilate : "es-tu le roi des Juifs ?", Jésus répond, comme tout bon jésuite, par une autre question : "Dis-tu cela de toi-même, ou bien parce que d'autres te l'ont dit ?" Et il est sans doute heureux qu’il ait répondu de la sorte. Jésus n’est pas d’abord venu pour apporter les réponses à toutes nos questions. Il est venu pour nous aider à réfléchir, à comprendre, à rechercher la vérité qui se trouve en Celui que nous célébrons comme Roi aujourd'hui.
Cette fête du Christ-Roi me pose chaque année un problème de conscience. En effet, elle est née dans l'époque politique trouble des années vingt du siècle passé. Ce qui fait que dans l'obscurité de certaines consciences malveillantes, elle a servi et sert hélas encore toujours à justifier les excès de pouvoir des tyrans et des dictateurs et ce, au nom de la toute-puissance de Dieu. Nous pourrions alors décider de ne pas la célébrer. Je crois cependant qu'agir de la sorte serait dommageable non pas pour la fête en elle-même mais plutôt pour ce qu'elle dénonce. Les hommes et les femmes ont durant de nombreux siècles compris la toute-puissance de Dieu comme étant une toute puissance de contrôle, une toute-puissance de domination, une toute-puissance de maîtrise. Si Dieu est vraiment Dieu, il peut tout faire. Ce que l’histoire de la Shoah et de tous les génocides du siècle dernier ont démontré est qu’il semble bien que notre Dieu ait décidé de ne plus utiliser cette toute puissance de domination et ce depuis qu'il a confié la Création à ses créatures humaines. Le philosophe Hans Jonas l’exprime très clairement dans son livre « Le concept de Dieu après Auschwitz ». En nous créant et en nous demandant de poursuivre la Création qu’Il a initialisé, le Père a donné à ses enfants un outil merveilleux : la liberté. Et afin que nous puissions exercer cette dernière, il a décidé de ne plus intervenir de manière directe dans le cours de nos événements. Le propre de sa création est ainsi signe de sa décision de ne plus exercer une domination permanente dans son chef. Cela n’est pas sans conséquence pour notre manière de vivre notre vie. En effet, non seulement, Dieu n'exerce plus sa maîtrise mais en plus, en décidant de la maîtriser, il transforme sa toute-puissance de domination en toute puissance de douceur. Comme nous le rappelle le septième jour de la Création tel que relaté dans le livre de la Genèse, Dieu achève son œuvre en se reposant. Ce repos divin sa volonté de maîtriser sa maîtrise, de dominer son pouvoir de domination. Et c’est à instant précis, que la douceur devient signe de la toute-puissance divine. Si les dictateurs et les tyrans du monde entiers pouvaient mieux lire les Ecritures, ils gouverneraient sans doute autrement.
Mais que signifie-t-elle cette douceur finalement ? La douceur pour naître à d'abord besoin de calme et de silence. Elle ne s'apprend pas puisqu'elle est la bonification de l'amour. Elle se développe sur le terrain du cœur. La douceur humaine éclaircit l'être. Elle est comme une lumière de printemps éveillant la frondaison d'un sous-bois. Une lumière si finement diffuse et qui pourtant porte en elle toutes les espérances de sèves. La douceur existe bien à l'état latent en chacune et chacun de nous. Elle peut, si nous le souhaitons, se développer comme une flamme dans laquelle notre amour peut marcher librement. Elle n'est pas une qualité que l'on s'octroie mais un état qui s'offre au cœur d'une rencontre en vérité. Cette douceur dont nous avons tant besoin est la grâce de l'âme et est silencieuse dans ses échos. Et lorsqu'elle s'exprime par des mots, elle le fait à voix de cœur. Elle est tout simplement l'âme qui caresse et promulgue tous les bonheurs possibles. C'est pourquoi avec le poète nous pouvons chanter qu'un homme, une femme sans douceur est un peu comme une forêt sans oiseaux. S'il en est véritablement ainsi, c'est-à-dire si la toute puissance de Dieu est bien une toute puissance de douceur qui nous est offerte à vivre en liberté dans la relation que nous établissons avec Lui alors il est heureux que nous puissions célébrer la fête du Christ Roi. Le Fils de Dieu, un roi doux empreint de tendresse, nous invite à partager le bonheur de son royaume. Un royaume d'amour. Un royaume de douceur. Pour en faire partie, c'est tout simple : mettons de la douceur dans nos relations ; celles-ci se transformeront et surtout nous transformeront pour donner à notre âme une saveur divine.
Amen.