Quatrième dimanche de Carême

Auteur: Laurent Mathelot
Date de rédaction: 27/03/22
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : C
Année: 2021-2022

Aujourd’hui un des plus grands textes de la spiritualité chrétienne, une des plus belles pages de la littérature antique : la parabole du Fils prodigue. C’est personnellement un texte qui me parle beaucoup – ma vocation religieuse est un retour de fils prodigue : « Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi » … pourtant tu m’aimes, me voici. Comme illustration de l’invitation à mon ordination sacerdotale, j’ai choisi la très belle toile de Rembrandt qui dépeint cette parabole, celle où le Père pose affectueusement ses deux mains – l’une féminine, l’une masculine – sur le dos de son fils en guenilles. C’est aussi au creux d’une vie en lambeaux que Dieu s’est rappelé à moi.

Beaucoup de thèmes sont abordés dans ce texte : la liberté, le péché, la misère, la honte, la conversion, l’amour filial et fraternel, et finalement la joie de Dieu. Je vous propose une lecture spirituelle au fil du récit.

Le père de la parabole c’est Dieu bien sûr et le fils prodigue c’est bien souvent nous, quand nous nous éloignons de Dieu pour nous enfoncer dans une vie de désordres : désordre affectif, désordre moral, désordre spirituel. La parabole, qui force le trait pour percuter les consciences, dira que le fils est allé jusqu’à envier la « nourriture des porcs ». Dans la culture juive, c’est une image très parlante, qui souligne son abaissement jusqu’au dégoût.

C’est donc l’histoire d’un fils qui prend distance avec Dieu. La joie, l’abondance, une vie paisible lui étaient promises mais il préfère se prendre en charge tout seul, assumer seul sa vie spirituelle. Il capitalise sur les dons de Dieu – ‘Père, donne-moi la part de fortune qui me revient.’ – et résout de vivre loin de lui. Le Père, lui, ne fait aucun reproche. Sans rien dire, il donne et voit son fils le quitter. Il y a derrière cette attitude de Dieu, toute la liberté qu’il nous laisse, lui fût-elle particulièrement coûteuse.

Au début tout va bien. Le fils mène grand train, une vie de fêtes jusqu’à la débauche, jusqu’à dilapider l’héritage de son Père – l’amour, l’abondance, la joie – avec des prostituées. J’ai longtemps mené ce genre de vie où l’on jette tout ce qu’on a dans les plaisirs du monde, où l’on s’enfonce à corps perdu dans une ivresse effrénée, où l’on se jette corps et âme dans un tourbillon de satisfactions aussi immédiates que futiles. Je l’ai fait jusqu’à l’épuisement – l’épuisement de soi, l’épuisement spirituel, l’épuisement de vivre. Et ce fut alors, comme dit le texte, la famine ou, si vous préférez, la dépression. Je connais ces états de total épuisement affectif, de vie en lambeaux, où l’on envisage volontiers de partager « la nourriture des porcs » puisqu’il n’y a plus que ça.

Et puis Dieu se rappelle à nous. Comment, au fond de la misère, certains sombrent-ils dans les ténèbres et finalement la mort alors que d’autres finissent par voir la lumière et se laissent interpeller par Dieu ? Ça reste pour moi un mystère. Je crois que, tout au long de ma descente vers l’Enfer, Dieu m’a cessé de me lancer des appels qu’aujourd’hui je perçois mais qu’à l’époque je n’ai pas entendus. Je crois fondamentalement que le Christ ne cesse jamais de chercher la brebis qui se perd. Mais ce qui m’a décidé de revenir vers Dieu, fondamentalement, je l’ignore. Peut-être, paradoxalement, la misère affective qui était la mienne, et aussi la honte que j’en éprouvais. Je crois que celui que je me sentais devenir a fini par m’effrayer.

« Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi. Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils. ». La honte est un sentiment puissant, et positif – une arme de la vie spirituelle et un don de Dieu. C’est la personne bonne en nous qui a honte de notre péché. Avoir honte du mal que l’on a pu faire, c’est déjà s’être laissé rejoindre par l’Esprit Saint. Réjouissons-nous d’avoir honte, c’est déjà le signe de notre conversion. Il y a des choses dans ma vie que j’ai faites et dont j’ai honte. Et c’est bien.

L’étymologie du mon conversion, c’est « faire demi-tour », en l’occurrence, décider de revenir à Dieu. Alors, le texte nous dit que, de loin, le Père l’aperçoit et est immédiatement pris de compassion ; qu’il court se jeter au cou de son fils et l’embrasse. Avant qu’il ne confesse sa faute, avant qu’il ne fasse état de sa honte, le Père est déjà dans un état de joie exubérante : voilà mon fils perdu qui revient ! La conversion précède la honte et le repentir, voilà ce que Dieu d’abord voit et qui le fait exulter. Cette joie exubérante de Dieu – apportez le plus beau vêtement pour l’habiller, allez chercher le veau gras, mangeons et festoyons – devrait radicalement changer notre regard sur le sacrement de la réconciliation.

Le dimanche de laetare reflète cet moment exact de la vie spirituelle où, visiblement perdus, penauds et même honteux, nous revenons à Dieu. Le rouge de la souffrance et de la honte se mélange au blanc éclatant de l’espérance divine et de la Résurrection pour donner le rose liturgique de la célébration d’aujourd’hui. Laetare signifie la joie, celle exubérante de l’amour de Dieu qui nous voit revenir de loin ; celle encore teintée de souffrance, de nous qui revenons à lui.

Aujourd’hui est un jour pour teinter notre carême de joie, la joie de Dieu qui exulte de chacune des conversions de notre cœur.

« Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi » … pourtant tu m’aimes, me voici.

 

— Fr. Laurent Mathelot OP