26e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 1999-2000

Cela fait trois semaines, trois semaines, me dit-il avec toujours cette rage dans la voix qu'il n'arrivait pas à contrôler. Trois semaines qu'il m'a dit cela et je n'arrive pas à l'oublier, à lui pardonner de telles paroles. Ce n'est pas tant ce qu'il m'a dit qui me rend fou, poursuivait-il, mais le fait que ce soit lui qui se soit permis de me le dire. Quelqu'un de plus proche m'aurait affirmé la même chose, cela ne m'aurait pas dérangé, je l'aurais même facilement accepté mais que ça vienne de lui : là, je dis non. Ces quelques phrases glanées au hasard d'une conversation n'ont rien d'exceptionnel et je suis convaincu que toutes et tous, nous nous sommes déjà trouvés dans une telle situation soit pour l'avoir entendue, soit pour l'avoir vécue personnellement. Et la morale d'une telle histoire pourrait se résumer par les mots suivants : « les gens n'ont que le pouvoir qu'on leur donne ». C'est si vrai dans la vie, cette maxime : « les gens n'ont que le pouvoir qu'on leur donne ». Je crois que dans la vie, nous sommes souvent confrontés à des problèmes d'autorité. Et la liturgie d'aujourd'hui en sa première lecture et son évangile, nous font redécouvrir, par la manière dont les disciples de Moïse et de Jésus réagissent, deux types d'autorité auxquels nous sommes quotidiennement confrontés : il s'agit de l'autorité de compétence et de l'autorité relationnelle. Il y en a sans doute d'autres, mais les textes du jour nous convient à nous pencher sur ces deux-là.

Prenons d'abord la dynamique de l'autorité relationnelle. Certaines personnes, au cours de ma propre existence, me feront des remarques et j'en tiendrai compte pour avancer sur le chemin de la vie. Je leur donne du pouvoir sur moi et je leur reconnais une compétence humaine. L'amitié et l'amour sont deux lieux où l'interpellation peut se vivre en douceur et en tendresse. Mais, c'est moi et moi seul qui autorise l'autre à prendre cette place dans mon existence. D'autres personnes pourront me faire, à la limite les mêmes remarques et ces dernières couleront sur la carapace de mon être n'ayant que faire de leur avis. Soit je ne vis pas une relation de proximité avec elles pour le moment, soit je n'ai pas de sympathie à leur égard. Dès lors, je ne leur donne aucune autorité. Il en va de même pour les lettres anonymes. J'en fais toujours un classement vertical, mais n'ayant cette fois que mépris profond pour ces gens qui n'ont pas le courage de leurs opinions. En fonction des personnes et des situations, je réagis donc émotionnellement différemment aux remarques reçues. Si donc une remarque m'affecte positivement ou négativement, c'est que j'accorde un certain pouvoir, une certaine autorité à la personne qui s'adresse à moi. J'ai alors à me poser la question, si énervement il y a, de la raison pour laquelle je donne tant de pouvoir à quelqu'un pour que ce dernier puisse arriver à me déstabiliser au point de ressentir une certaine colère monter en moi chaque fois que je pense aux mots échangés. Cette influence que je considère de manière négative me fait perdre un peu de ma liberté, de mon autonomie puisque l'autre occupe une grand part de ma pensée, de mes émotions. J'ai alors à reconnaître que par delà la pertinence vraisemblable des propos échangés, je ne suis pas émotionnellement aussi neutre que je ne le voudrais vis-à-vis de la personne et j'ai alors à faire le chemin intérieur pour me resituer par rapport à mon interlocuteur et comprendre les émotions qui me traversent. Ayant fait ce travail, je peux recouvrer ma liberté et décider de la suite que je donnerai aux propos échangés.

Si c'est vrai pour les émotions, il en va de même pour l'autorité de compétence puisque toutes deux trouvent leur siège au coeur de l'intelligence humaine. A certaines personnes nous reconnaissons aussi une autorité de compétences basées soit sur des connaissances scientifiques, soit sur des connaissances acquises par l'expérience de la vie. Pour cette autorité-ci, c'est à nouveau à nous à décider de la reconnaître même si nous sommes portés par l'ensemble de la société dans laquelle nous vivons. J'accepte ou je refuse la parole, le discours de certaines personnes, à l'instar des disciples de Moïse.

Alors que nous soyons dans le champ de l'autorité émotionnelle ou de compétence, nous devons admettre que même si nous ne saisissons pas tout, que cela va parfois au-delà de notre entendement, nous pouvons nous rappeler ces paroles du Christ et les faire nôtres : « celui qui n'est pas contre nous est pour nous ». De toute façon, les gens n'ont que le pouvoir qu'on leur donne.

Amen.

4e dimanche de Pâques, année B

Auteur: Moore Gareth
Temps liturgique: Temps de Pâques
Année liturgique : B
Année: 1999-2000

« Je suis le bon pasteur ». C'est une des métaphores les plus connues du Nouveau Testament. Jésus est le berger, et nous sommes les brebis.

C'est une métaphore riche qui a une longue histoire dans la tradition juive. Le roi David était connu comme berger ; « Berger » est devenu titre royal ; en s'appelant berger Jésus prétend donc être roi des juifs. Dans le livre du prophète Ézéchiel Dieu rejette les bergers humains, les rois d'Israël, et dit qu'il deviendra lui-même un jour le berger de son peuple. En s'appelant berger, Jésus dit que Dieu est présent en lui, et qu'en lui Dieu guide son peuple.

C'est donc une métaphore importante et centrale. Mais il faut dire que ce n'est qu'une métaphore. Nous ne sommes finalement pas des brebis. La vie d'une brebis est simple : elle mange de l'herbe, elle dort, elle s'accouple de temps en temps avec un bélier. Elle suit les autres brebis, qui suivent le berger. Puis, on l'abat et on la mange. Ce n'est pas une bête remarquable. La vie humaine est beaucoup plus compliquée, plus intéressante, plus difficile et pleine de beaucoup plus de possibilités que celle d'une brebis.

Si nous ne sommes pas des brebis, Jésus n'est pas un berger non plus. La relation entre Jésus et nous n'est pas la relation entre un berger et ses brebis. La brebis peut s'égarer dans les rochers, et alors le berger va la chercher. Mais il ne la cherche pas par amour ; il la cherche parce qu'elle lui appartient, c'est sa propriété, s'il la perd, il perd de l'argent, ou il aura moins à manger. Certainement, et contrairement à ce que dit Jésus, il ne mourra pas pour ses brebis. En parlant de la mort du berger Jésus dépasse les limites de la métaphore.

Comme toute métaphore, celle-ci est à dépasser. Dieu, et notre relation à Dieu, n'est pas à saisir, il n'y en a pas d'image cohérente. Mais il y a quand-même un élément de l'image du berger et de ses brebis qui est important. C'est en suivant leur berger que les brebis trouvent leur nourriture et leur sécurité, càd leur vie. Les brebis ne suivent pas n'importe qui. Les brebis, dit Jésus, reconnaissent la voix du berger à qui elles appartiennent. Puisque la vie humaine est plus compliquée que celle d'une brebis, nous avons besoin d'une nourriture plus compliquée que celle dont a besoin la brebis ; pour vivre une vie vraiment humaine nous avons besoin d'une nourriture qu'on peut appeler spirituelle. Et si une brebis peut s'égarer parmi les rochers, nous pouvons nous égarer dans le monde. Nous pouvons perdre notre orientation dans le monde, ou le monde et la vie peuvent perdre leur sens, ils peuvent devenir muets et ne plus nous parler ; et alors, dans ce silence, nous sommes profondément perdus. Nous avons besoin de plus qu'un berger. Nous avons besoin de quelqu'un qui nous permette de nous retrouver, en qui nous puissions retrouver le sens de notre vie et du monde. C'est pourquoi, si Jésus parle de lui-même comme d'un berger, son évangéliste Jean l'appelle « Verbe de Dieu », la parole vivante de Dieu par qui tout est créé. Selon Jean, il y a une parole dans les choses, une parole qui est à l'origine des choses, à leur centre, une parole qui peut établir - ou rétablir - une sorte de communion entre nous et le monde, une parole qui nous dit le sens du monde. Cette parole s'est faite chair, c'est Jésus, le berger. C'est pourquoi il est tellement important d'écouter et de reconnaître la voix de ce berger, de ne pas suivre n'importe quelle voix. Nous ne suivons pas Jésus pour être pieux, ou obéissants, ou saints, mais pour trouver un sens dans le monde, pour vivre humainement.

Ce dimanche du Bon Pasteur on a dans l'église catholique l'habitude de prier pour les prêtres. C'est une très bonne idée, parce que les prêtres ont toujours besoin d'être soutenu par vos prières. Mais n'oublions pas que les prêtres, comme les évêques, ne sont pas nos pasteurs. Il n'y a qu'un seul pasteur, il n'y a qu'une personne qui nous donne la vie et qui donne un sens à notre vie. Les prêtres et les évêques ne sont que des brebis qui ont un rôle un peu spécial dans le troupeau. Ils ont le devoir, comme beaucoup de laïcs, de transmettre fidèlement la parole de vie que Jésus nous parle. Pour pouvoir faire cela, il faut qu'eux aussi puissent reconnaître sa voix au milieu de tout le bruit et de toutes les opinions qui nous entourent aujourd'hui, et qu'ils l'écoutent. Prions donc que tous ceux qui parlent au nom de l'église écoutent bien la parole de Jésus, qu'ils la comprennent et qu'ils la transmettent fidèlement.

32e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 1999-2000

Grâce à l'évangile de ce jour, j'ai trouvé le moyen de devenir extrêmement riche et je me dois d'aller déposer un brevet pour mon invention. D'ici peu, je l'espère du moins, vous pourrez trouver dans les grands magazins de notre pays mon produit intitulé "le kit complet de la solidarité". Un kit mis à jour chaque année d'ailleurs. Dans ce kit, vous trouverez tous les objets mais à moindre prix pour vous donner bonne conscience lors des diverses opérations organisées tout au long de l'année, c'est-à-dire les bics pour le Père Damien, une collection d'auto-collants de la Croix-Rouge à poser sur le pare-brise, les c½urs pour Télévie, les cartes de v½ux pour une maison s'occupant de femmes battues, les sachets de café 11.11.11, un ou deux vêtements usagers pour Terre des Hommes, des langues de chat pour 48.81.00 et depuis peu, le petit porte-monnaie ou la grand pince à linge Saint Vincent de Paul. Le tout livré dans un sac "Made in Dignity" d'Oxfam.

C'est vrai tout au long de l'année, nous sommes sollicités par divers appels à notre générosité. Et il est évident que tous ces petits dons permettent à des hommes et des femmes dans notre monde de trouver ou retrouver leur dignité. Dès lors au-delà du kit de la bonne conscience, il y a lieu de poursuivre et répondre positivement, dans la mesure de nos moyens, à ces appels, même si à certains moments nous avons la nette impression que ces sollicitations sont continues et qu'on ne nous laisse pas le temps de respirer. Elles peuvent nous donner alors un sentiment de culpabilité si nous n'ouvrons pas notre porte-monnaie. Comme si c'était mal de ne pas soutenir le projet proposé. Nous sentons une certaine pression. Faut-il donner à la maman avec son enfant dans la rue, alors que je viens de dépenser de l'argent pour m'offrir un petit cadeau. Ce type de pensée nous traverse l'esprit. C'est vrai. Tout simplement parce que la notion de don, de cadeau n'est pas aussi simple que cela. Elle est d'abord et avant tout éminement subjective. Je peux dépenser une grosse somme d'argent pour offrir quelque chose à quelque que j'aime. Et en même temps, cela peut me faire mal de dépenser le dixième de cette somme pour un cadeau d'obligation à quelqu'un pour qui j'éprouve de la sympathie mais non de l'amour. Le don est d'autant plus subjectif que certains d'entre nous préférent donner que recevoir. Un cadeau fait évidemment plaisir, mais lorsque nous un recevons un, souvent nous sentons redevable d'une dette. Et il y aura lieu de créer un espace temps entre ce don reçu et celui que nous ferons pour nous donner l'impression que notre don à nous est également gratuit. Un peu comme si, écrivait un philosphe, tout don est une invitation dans le temps à un autre don.

Le don est également ambigu : certains aiment les cadeaux d'obligation comme à Noël ou aux anniversaires. Moi, personnellement, je ne les aime pas à ces occasions-là parce que je ne me sens pas libre d'offrir. Si je ne fais pas de cadeau, je blesse la personne aimée. D'autres me diront que même les cadeaux d'obligations sont de vrais cadeaux parce que nous aurons pris le temps de chercher comme si dans le cadeau d'obligation, il y avait le don du temps, temps vécu comme valeur en elle-même. Et nous reviennent à l'esprit le temps passé pour les pâtes peintes de nos colliers en macaroni lors de la fête des mères. Ces petits cadeaux sans réelle valeur marchande disent tellement de l'amour donné et partagé. Il y aussi les cadeaux que nous faisons à l'autre mais qui sont aussi un peu pour nous. Je me rappelle qu'à l'âge de 9 ans, j'avais acheté un 45 tours de Claude François pour ma maman parce que j'adorais cette chanson et que je savais très bien qu'il n'était pas question qu'un tel type de musique entre à la maison sauf par le biais du cadeau. Ce cadeau n'en était pas véritablement un puisqu'il était un moyen en vue d'une fin autre que le plaisir de recevoir quelque chose qui plait. Les dons peuvent donc bien être parfois ambigu.

Je crois cependant que les plus beaux dons sont ceux qui sont offerts sans raison ou plutôt qui ont pour unique raison l'amour ou l'amitié. Tiens voilà ce cadeau est pour toi, en voyant cet objet, j'ai pensé à toi et j'ai eu envie de te l'offrir sans raison si ce n'est toi. Lorsque le don est vécu dans l'amour, nous quittons le champ du superflu, nous donnons tout simplement un peu de ce que nous sommes.

Et voilà qu'aujourd'hui, l'évangile nous invîte à ne pas nous enfermer dans notre superflu mais à donner de nous-mêmes, à nous donner totalement dans ce que nous sommes, dans nos relations et dans nos gestes de solidarité. Le superflu est trop facile, le don qui nous coûte est don véritable. Amen.

18e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Moore Gareth
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 1999-2000

Le dimanche passé, Jésus a multiplié les pains pour rassasier la foule qui l'entourait. Aujourd'hui commence le long discours de Jésus où il explique la signification de ce qu'il vient de faire. Derrière son discours, et derrière les questions des juifs, il y a l'histoire de la manne que nous avons entendue dans la première lecture.

Israël est dans le désert, dans une terre stérile, sans eau et sans nourriture, et Dieu donne au peuple à manger. C'est un miracle, mais c'est aussi une métaphore. De même que nous avons besoin de bien manger pour bien vivre, pour bien fonctionner au niveau physique, nous avons besoin de quelque chose pour bien vivre au niveau plus personnel. Comme on le disait autrefois, si on a besoin d'une nourriture physique, on a besoin aussi d'une nourriture spirituelle.

Cette métaphore semble quasi naturelle. On peut dire plus ou moins la même chose en parlant de la faim. Il y a en Afrique du Sud aussi un grand désert aride. Il y a un peuple qui habite ce désert. Ces gens ont du mal à vivre ; la nourriture n'est pas facile à trouver. Pour eux, la faim est un élément central et quotidien de la vie. Ils ont un vocabulaire intéressant : ils parlent de la grande faim et de la petite faim. La petite faim est la faim, l'absence de nourriture, tandis que la grande faim, la faim la plus importante, est ce qu'on pourrait appeler une faim spirituelle, l'absence de Dieu.

Ce n'est pas difficule à comprendre. La faim, l'absence de nourriture, c'est l'estomac vide, et c'est la fatigue, la faiblesse et la douleur qu'il entraine. Quand on a faim on doit manger, il n'y a pas de repos, pas de paix, avant qu'on ne se remplisse la bouche. Mais, après un certain temps, on s'y habitue, on ne sent plus le manque de nourriture, on s'engourdit. C'est comme si on avait mangé, comme si on n'avait plus hesoin de nourriture, sauf que la faiblesse et la fatigue restent. Il peut sembler que la faim est vaincue, parce que cela ne fait plus mal. Mais c'est parce qu'on n'est plus assez vivant pour souffrir, la machine du corps a déjà commencé à s'arrêter, la vie commence à s'éteindre. On cesse de chercher la nourriture. Il peut y avoir une sorte de confort dans cette condition, parce qu'on ne sent plus rien, mais en fait, c'est le triomphe de la faim ; on n'est pas loin de la mort.

La grande faim, la faim de Dieu, est semblable ; il s'agit d'un vide, d'une lassitude, d'une faiblesse. Mais ce n'est pas la faim de la nourriture. Le vide n'est pas dans l'estomac, mais dans la vie. La vie semble dépourvue de sens, elle ne nous nourrit pas. On est lassé par les tâches multiples de chaque jour, qui semblent de plus en plus lourdes et embêtantes. Le monde devient gris et plat, et l'existence devient pénible. Il est possible de s'habituer à ce vide de sorte qu'on ne le remarque plus. Alors le vide semble la condition humaine naturelle, et on ne remarque pas qu'il manque quelque chose, on ne cherche plus. On comprend la vie et le monde comme si ses besoins sprituels n'existaient pas, comme si Dieu n'existait pas. Il y a une sorte de bonheur dans cette condition, mais c'est le bonheur de l'oubli, c'est le triomphe du vide.

Il y a donc une grande ressemblance entre ces deux faims, c'est pourquoi il est naturel d'employer le mot « faim » en parlant des choses spirituelles. Mais il y a aussi une différence importante, et c'est une différence qu'indique Jésus. Quand on a l'estomac vide, on peut, si les circonstances le permettent, travailler pour se rassasier. On peut aller à la chasse des bêtes sauvages, on peut cultiver des plantes. Par son travail, on peut se nourrir. En fait, les premières pages de la Bible font le lien entre manger et travailler : Dieu dit à Adam « Le sol sera maudit à cause de toi. C'est dans la peine que tu t'en nourriras tous les jours de ta vie... A la sueur de ton visage tu mangeras du pain ». Par contre, le vrai pain dont parle Jésus ne sort pas du sol, il tombe du ciel. On ne doit pas travailler pour le produire, et on ne peut pas. C'est gratuit, et cela a l'aspect d'un don ; Dieu le donne. Si on veut être rassasié, il faut d'abord s'ouvrir à recevoir le gratuit. Quand les juifs demandent à Jésus « Que faut-il faire pour travailler aux oeuvres de Dieu ? », lui répond « L'oeuvre de Dieu, c'est que vous croyiez en celui qu'il a envoyé ». Mais croire en Jésus n'est pas travailler, c'est cesser de travailler, cesser de s'occuper de ce qu'il faut faire, pour s'ouvrir, pour se permettre de recevoir le don de Dieu. La première lecture dit la même chose : les cailles descendent sur camp après le coucher du soleil, après la fin de la journée, quand on ne travaille plus. Et la manne est déjà là le lendemain quand les gens se lèvent. Dieu donne dans la nuit, et la nuit est le temps de repos, où on ne travaille pas.

Dans un monde qui prône la valeur du travail et du non-gratuit, de ce qu'on achète, il n'est pas toujours facile d'être simplement passif, ouvert à recevoir le gratuit, d'accepter le fait que notre nourriture ne vient pas de nous-mêmes, mais c'est ce qu'il faut. Il faut accepter le gratuit, et en reconnaître la gratuité en disant merci. C'est pourquoi nous nous sommes réunis aujourd'hui, pour recevoir à cette table le pain que Jésus nous donne, et pour en rendre grâce.

Dimanche de Pâques

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps de Pâques
Année liturgique : A, B, C
Année: 1999-2000

Etonnante cette attitude de Jean. Entendant une si bonne nouvelle, nous aurions pu nous attendre à un comportement un peu plus normal c'est-à-dire à ce que la curiosité le pousse au moins à entrer dans cette fameuse tombe pour comprendre ce qui s'y est vraiment passé. Non, lui il s'arrête. Il s'arrête prétendront certains au cours des siècles parce que Jean était un garçon bien éduqué et qu'il se devait de laisser passer la personne la plus âgée devant lui. Un exemple de courtoisie et j'en viens à espérer que les frères aînés de la communauté dominicaine de Froidmont ne se mettent pas à rêver que je fasse la même chose. De toute façon à l'impossible nul n'est tenu.

Jean se serait arrêté par simple politesse. C'est une des interprétations que la tradition chrétienne a retenu. L'autre se réfère à l'idée que Jean se devait de s'arrêter dans sa course effrénée pour entrer dans le mystère de Pâques. Un peu comme à l'image du monde dans lequel nous vivons : un monde où tout va si vite, voire même parfois trop vite. Dans un tel monde, nous aussi nous devons reprendre notre propre souffle pour retrouver une sérénité intérieure qui nous permet à nous aussi de saisir un peu du mystère de Pâques. Mais Jean s'est peut-être arrêté pour une troisième raison, complémentaire des deux autres d'ailleurs. Il s'est arrêté comme s'il avait été empêché d'aller plus loin, comme s'il avait atteint certaines frontières, certaines limites. Une limite à ne pas dépasser. En tout cas pas tout de suite. En effet Pâques, et nous l'avons trop souvent oublié, nous ramène à la limite de notre propre mort. Car c'est d'elle aussi qu'il s'agit. La mort, un instant, un passage de la vie à la vie éternelle. Et cette mort, comme Pâques, reste pour nous profondément mystérieuse. Elle est vécue sereinement par certains, elle est une peur pour d'autres. Elle est en tout cas, comme nous le disons en droit, un événement futur et certain par lequel nous passerons toutes et tous. La mort est bien la limite ultime de notre vie terrestre. Mais grâce à elle, nous sommes invités à vivre pleinement notre vie, à accepter les limites qui la fondent et pourquoi pas à nous en réjouir. Pâques devient de la sorte la fête du retour à ce qui donne sens puisqu'elle nous ramène à notre propre mort, celle qui nous convie à vivre intensément chaque jour qui nous est donné. Et cette intensité se laissera découvrir dans la manière dont nous intégrons dans nos vies ce que saint Paul appelle les réalités d'en haut. Ces dernières portent le nom d'amitié, d'amour, de tendresse, de douceur, de tolérance, de respect, c'est-à-dire les réalités que nous prendrons avec nous lors du grand voyage. Ce sont ces valeurs qui donnent de la lumière, lumière de Pâques à nos vies.

Laissez-moi vous conter l'histoire suivante. Un roi avait trois fils. Sentant sa mort venir, il voulait qu'un des trois hérite de son royaume. Il ne souhaitait pas le diviser. Il proposa alors le marché suivant. Le royaume sera à celui qui sera capable de remplir complètement la grotte se trouvant au fond du jardin. Pour ce faire, je donne à chacun une pièce d'or, dit le roi. Le premier fils qui était grand et fort décida d'acheter du bois et le coupa. Mais hélas, il ne remplit qu'une moitié de la grotte. Le deuxième, plus fainéant, acheta des plumes mais il ne remplit que la grotte au trois-quarts. Quant au troisième, il n'avait pas beaucoup d'idées. Il avait cependant un grand coeur. En chemin vers le magasin, avec sa pièce d'or il acheta de la nourriture pour une famille qui avait faim, il paya un nouveau toit pour le logement d'une autre et fit mille et une autres choses. Arrivé au magasin, il ne lui resta qu'une toute petite piécette avec laquelle il acheta une bougie. Il revint vers la grotte, alluma la bougie et la lumière de la flamme emplit toute la pièce. C'est lui, grâce à l'élan de son coeur, qui hérita du royaume.

Mon histoire n'est qu'un conte mais nous aussi aujourd'hui nous sommes devant une grotte, celle où Dieu le Fils a été déposé et est ressuscité. Telle est notre foi et nous vivons pleinement de la lumière du mystère de sa résurrection. Cette lumière est une invitation à vivre intensément et à fonder nos vies sur des valeurs éternelles sans jamais oublier qu'une simple petite flamme peut éclairer l'entièreté de notre vie intérieure. Que la lumière de Pâques soit alors aussi la lumière qui emplit nos vies. Amen.

33e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Delavie Bruno
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 1999-2000

Mc 13, 24-32

Le passage de l'évangile de Marc que nous venons de lire, se situe au terme du ministère public de Jésus, avant les récits de la passion et de la résurrection. Dans un langage apocalyptique, en usage en son temps, Jésus donne à ses apôtres les signes avant coureurs de l'événement pascal, moment décisif où le monde change. En effet, le monde de la première alliance, celui de la loi mosaïque va disparaître pour faire place à l'avènement du salut définitif, manifesté en Christ, mort et ressuscité. Par sa mort et sa résurrection, Jésus fait entrer tous les humains dans une nouvelle Alliance avec Dieu, dans un nouveau mode de relations de l'humanité avec son Père. C'est la fin des temps, qui commence au Calvaire et ne s'achèvera qu'à la fin du monde. La glorification du Fils de l'homme va bientôt débuter par sa mort sur la croix. Cette glorification ne sera pleinement achevée qu'au moment, ignoré de tous mais connu de Dieu seul, moment où le Christ remettra son oeuvre accomplie dans les mains du Père. C'est dans cette perspective qu'il nous faut lire dans les évangiles, les discours eschatologiques, qui parlent de la fin des temps. Dans les années 70 de notre ère, au moment où Marc écrit son évangile, la ville de Jérusalem et le Temple viennent d'être détruits par le romain Titus. Le discours de Jésus rapporté par l'évangéliste, répond d'abord à la question posée par les disciples : "Quand cela arrivera-t-il ?" alors que le Maître vient de se lamenter sur le sort de Jérusalem. Marc semble associer les deux : l'ultime bouleversement cosmique précédant la manifestation du Fils de l'homme à la fin du monde et la ruine de cité sainte.

Comment alors interpréter aujourd'hui l'évangile de ce jour ?

Jésus avait dit : "Après une terrible détresse, le soleil et la lune perdront de leur éclat et les étoiles tomberont" Et je me suis demandé s'il ne rejoignait pas ces devins et ces extralucides qui pullulent aujourd'hui et qui prétendent avoir des relations spéciales avec l'au-delà- ces prophètes de malheur qui s'amusent à faire peur. Je me suis demandé s'il ne rejoignait pas ces membres des sectes qui viennent à nos portes pour nous annoncer la fin du monde et tenter de nous convertir. Et quoi de plus tentant que de confier son sort à toutes sortes de gourous, quand on tremble tellement en pensant à l'avenir incertain, à la montée de la violence, aux menaces toujours croissantes sur l'environnement. Peut-être conviendrait-il aussi de tempérer un peu notre fascination pour l'an 2000 ! Certes à toute époque, l'homme s'est fixé des repères dans le temps. Nous aimons les dates-clés. Sur la tour Eiffel à Paris l'on peut voir le décompte des jours jusqu'à l'an 2000. Bien sûr, il y a le jubilé. Mais les scientifiques nous disent que Jésus n'est pas né en l'an 0, mais probablement en l'an-4. Alors faut-il tomber dans cette manie qui focalisent l'attention sur des dates, des échéances et des ultimatums ? Comme dit le psaume : "Pour Dieu, nulle ans sont comme un jour et un jour vaut nulle ans".

Il avait ajouté : "Alors on verra les Fils de l'homme venir sur les nuées avec grande puissance". Et je me suis demandé s'il allait, lui aussi, chercher à nous faire peur en brandissant le jugement dernier comme une sorte de menace. Suivant le principe que la crainte du Seigneur est le commencement de la Sagesse. Dans un monde difficile, il suffirait d'attendre, sans faire trop de bêtises et d'être toujours prêts, afin de garder l'espoir d'être de ceux qui seront admis dans le ciel.

Heureusement, il avait ajouté : "Que la comparaison du figuier vous instruise. Quand les branches deviennent tendres et que sortent les feuilles, c'est que l'été est proche". Voilà bien un message positif

Et j'ai observé alors les signes d'aujourd'hui, ceux qui me font découvrir qu'il est là, présent, tout proche de moi, ceux qui me permettent de voir son règne grandir et progresser ! Et j'ai expérimenté dans la réflexion de foi, dans la prière et le recueillement qu'Il était toujours là à mes côtés, pour partager mes joies, mais aussi pour m'aider dans les peines et les difficultés et m'entraîner sur des chemins de dépassements. Et j'ai vu autour de moi ceux qui luttent pour que les petits deviennent grands et les grands tout petits, ceux qui cherchent à donner les places d'honneur aux pauvres et aux exclus. Et je me suis dis que le Fils de l'homme était proche, à notre porte. Aurions-nous peur d'un monde nouveau qui naît ?

28e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Moore Gareth
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 1999-2000

Nous connaissons tous très bien, peut-être trop bien, cette histoire de l'homme riche. Mais cette connaissance peut nous empêcher d'en voir l'essentiel. Dans l'essentiel, ce n'est pas une leçon sur les dangers de l'argent, contre le matérialisme ou sur le fait que nous soyons souvent possédés par ce que nous possédons ; il s'agit plutôt de l'amour.

« Posant son regard sur lui, Jésus se mit à l'aimer » Cette rencontre est racontée par trois des quatre évangélistes, et Marc est le seul qui raconte ce petit détail, que Jésus regarde cet homme et l'aime. Mais en nous racontant ce détail, Marc va à l'essentiel de la rencontre. Jésus l'aime, c'est-à-dire que Dieu l'aime.

L'amour, ce n'est pas seulement une sorte de bienveillance désintéressée, distante. La bienveillance fait partie de tout véritable amour, c'est vrai. Mais quand nous aimons quelqu'un, il nous attire vers lui. Il attire notre regard, nous le regardons, comme Jésus regarde cet homme riche, et nous le regardons avec plaisir. Il attire, comme un aimant, notre regard et aussi notre corps ; nous voulons être près de lui. Quand nous aimons quelqu'un, nous voulons qu'il soit près de nous, avec nous, nous voulons qu'il partage notre vie et nous voulons partager la sienne ; et ceci, au quotidien : nous voulons manger avec lui, nous promener avec lui, faire la vaisselle avec lui, aller au cinéma avec lui. Autrement dit, nous voulons qu'il soit là pour nous, qu'il fasse partie de la texture de notre vie, et nous voulons aussi faire partie de la sienne. C'est pourquoi, quand deux personnes s'aiment mutuellement et que leur amour est fort et profond, ils veulent vivre ensemble, tous les jours et sous le même toit. Et cette intimité a souvent un aspect corporel et sexuel ; c'est pourquoi, pour nous les êtres humains, les rapports sexuels peuvent être l'expression et le symbole de l'amour fort et profond, l'union physique peut exprimer l'union intime de la vie des deux personnes.

Jésus regarde cet homme riche, il l'aime. Puisque il l'aime, il veut son bien, mais il veut aussi que l'homme partage sa vie : « viens, et suis moi », lui dit-il, je veux être avec toi, et veux que tu sois avec moi. Jésus révèle ici l'amour de Dieu, pour cet homme et pour nous tous.

Jésus le regarde. Or le regard de Jésus, c'est le regard de Dieu, le regard de celui qui nous a créés. Au premier chapitre de la Bible, Dieu crée le ciel et la terre, mais il fait plus que créer. Chaque fois qu'il crée un élément du monde, il le regarde et il se dit : « C'est bon » ; il aime ce qu'il a créé. Quand il a créé les êtres humains, il regarde l'ensemble de la création et se dit : « Ah, c'est très bon » ; il aime beaucoup les hommes. Dieu regarde le monde, il aime le regarder, il aime surtout les hommes, il aime les regarder. Nous attirons le regard de Dieu, comme l'homme riche attire le regard de Jésus. Dans cette rencontre de Jésus avec l'homme riche, Dieu dit effectivement à chacun de nous : Viens, sois avec moi, car je t'aime. Dieu nous aime pour ce que nous sommes, pas pour ce que nous avons, il nous aime parce qu'il nous a donné l'être et la vie, pas parce que nous avons amoncelé des vertus ou de l'argent. Dieu nous aime à ce point qu'il veut partager sa vie avec nous, au quotidien, de manière permanente et intime. C'est pourquoi, pour la tradition chrétienne, la meilleure image de l'amour de Dieu pour nous, à part la croix de Jésus, est l'amour érotique, tel qu'on le trouve dans le Cantique des Cantiques : « Qu'il me baise des baisers de sa bouche ! Car tes caresses sont meilleures que du vin, meilleures que la senteur de tes parfums ». C'est pourquoi aussi le mariage, où deux personnes partagent de manière intime leur vie quotidienne, peut être une image de l'amour de Dieu.

L'homme riche ne répond pas à l'invitation de Jésus, il s'en va. Mais il s'en va triste, et cela montre qu'il répond quand même d'une certaine manière à l'amour de Jésus, à l'amour de Dieu. Sa tristesse montre qu'il sait vaguement qu'en s'en allant il rate quelque chose qui l'attire, qu'il perd quelque chose qu'il aime. Si Dieu aime l'homme, l'homme aime Dieu aussi. Dieu nous aime parce qu'il nous a créés, nous l'aimons parce qu'il nous a créés pour lui. C'est de la nature de l'homme d'aimer Dieu, même s'il ne le sait pas, même s'il refuse l'invitation de Dieu. L'homme qui refuse Dieu agit contre son propre véritable amour, d'où sa tristesse. L'homme ne répond pas toujours à l'amour de Dieu et à son propre amour pour Dieu, mais nous savons que l'amour de Dieu peut combler notre manque d'amour. Même si pour les hommes c'est impossible, tout est possible à Dieu et à l'amour de Dieu.

34e dimanche ordinaire, année B (Christ Roi)

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 1999-2000

Jn 18, 33-37

A la lecture de l'évangile de ce jour, une horrible question m'a traversé l'esprit : Jésus serait-il jésuite ? En effet, comme tout bon jésuite, à la question de Pilate : "es-tu le roi des Juifs", Jésus répond par une autre question : "Dis-tu cela de toi-même, ou bien parce que d'autres te l'ont dit ?" Vous imaginez mon désarroi, en tant que dominicain. Me serais-je tromper d'Ordre. Heureusement pour moi, la suite du texte remets les pendules à l'heure. La devise de notre Ordre est "Veritas" : la vérité. Les frères précheurs sont donc en quête incessante de cette vérité et voilà que le Christ nous dit qu'il est venu rendre témoignage à la vérité et que tout être humain qui appartient à la vérité écoute ma voix. Jésus est donc un peu jésuite, un peu dominicain et c'est sans doute pour cela qu'il y a tant de diversité dans les congrégations et ordres religieux au sein de notre Eglise puisque tous à leur manière approche le mystère de la divinité du Fils.

Un Fils que nous reconnaissons comme Roi aujourd'hui. Cette fête du Christ-Roi me pose chaque année un problème de conscience. En effet, elle est née dans l'époque politique trouble des années vingt de ce siècle ce qui fait que dans l'obscurité de certaines consciences malveillantes, elle a servi et sert hélas encore toujours à justifier les excès de pouvoir des tyrans et des dictateurs et ce, au nom de la toute puissance et de la domination de Dieu. Nous pourrions alors décider de ne pas la célébrer. Je crois cependant qu'agir de la sorte serait dommageable non pas à la fête mais à ce qu'elle dénonce. Les hommes, et les femmes aussi d'ailleurs, ont depuis toujours compris la toute puissance de Dieu comme étant une toute puissance de contrôle, une toute puissance de domination, une toute puissance de maîtrise. Si Dieu est vraiment Dieu, il peut tout faire. C'est vrai mais il peut également décider de ne pas utiliser cette toute puissance de domination. Et je crois personnellement que c'est ce qu'il fait depuis qu'il a créé le monde. En nous créant, le Père a donné à ses enfants un outil merveilleux : la liberté. Et afin que nous puissions exercer cette dernière, il ne peut pas intervenir à son gré. Sa création est signe de sa décision de ne pas exercer sa domination comme telle. Avec Paul Beauchamp et André Wénin, deux exégètes contemporains, nous pouvons même aller plus loin encore. Non seulement, il n'exerce plus sa maîtrise mais en plus, nous avons mal compris sa toute puissance. Elle n'est pas une puissance de dominationn écrivent-ils. Elle est une puissance de douceur puisque rappelle le livre de la Genèse, Dieu achève son ½uvre en se reposant. Le repos de Dieu est son désir de maîtriser sa maîtrise, de dominer son pouvoir de domination. De là naît cette douceur signe de la toute puissance de Dieu. Si les dictateurs et tyrans du monde entiers pouvaient mieux lire les écritures, ils gouverneraient sans doute autrement.

Mais que signifie-t-elle cette douceur finalement ? La douceur pour naître à d'abord besoin de calme et de silence. Elle ne s'apprend pas puisqu'elle est la bonification de l'amour. Elle se développe sur le terrain du c½ur. La douceur humaine éclaircit l'être. Elle est comme une lumière de printemps éveillant la frondaison d'un sous-bois. Une lumière si finement diffuse et qui pourtant porte en elle toutes les espérances de sèves. La douceur existe bien à l'état latent en chacune et chacun de nous. Elle peut, si nous le souhaitons, se développer comme une flamme dans laquelle notre amour peut marcher libre. Elle n'est pas une qualité que l'on s'octroie mais un état qui s'offre au c½ur d'une rencontre en vérité. Cette douceur dont nous avons tant besoin est la grâce de l'âme et est silencieuse dans ses échos. Et lorsqu'elle s'exprime par des mots, elle le fait à voix de c½ur. Elle est tout simplement l'âme qui caresse et promulgue tous les bonheurs possibles. C'est pourquoi avec le poête nous pouvons chanter qu'un homme, une femme sans douceur est un peu comme une forêt sans oiseaux.

S'il en est véritablement ainsi, c'est-à-dire si la toute puissance de Dieu est bien une toute puissance de douceur qui nous est offerte à vivre en liberté dans la relation que nous établissons avec lui alors il y a vraiment lieu de célébrer la fête du Christ Roi. Notre Roi, le Christ, un roi doux empreint de tendresse, nous invite à partager le bonheur de son royaume. Un royaume d'amour. Un royaume de douceur. Pour en faire partie, c'est tout simple : mettons de la douceur dans nos relations ; celles-ci se transformeront et surtout nous transformeront pour donner à notre âme un peu de Dieu.

Amen.

34e dimanche ordinaire, année B (Christ Roi)

Auteur: Moore Gareth
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 1999-2000

La fête que nous célébrons aujourd'hui, la fête du Christ, roi de l'univers, a été instituée en 1925. C'était une manière de proclamer l'autorité universelle de Dieu et de son Messie. C'était le début de l'époque des grandes idéologies politiques, le communisme et le fascisme. Staline était au pouvoir dans l'Union Soviétique, le premier état communiste du monde, et Mussolini en Italie, le premier état fasciste. Pour ces régimes totalitaires, l'homme est complètement subordonné à l'état, ou au dictateur qui est censé incarner l'esprit du peuple. Notre fête est en partie une sorte de réponse à ces idéologies, une réponse que dit qu'aucune idéologie politique ne doit dominer sur l'homme, que l'état n'est pas la source de la vie humaine, qu'il n'est non plus la vraie fin de notre vie. L'état n'est pas « l'alpha et l'oméga ». L'alpha et l'oméga, celui qui a le premier mot et le dernier mot, notre origine et notre fin, c'est Dieu, le Dieu qui nous est révélé par et en Jésus Christ, comme le dit la lecture de l'Apocalypse de Jean. Ce n'est donc pas à Staline que devons obéir, ni à Mussolini, mais au Christ.

Les années 20 du 20e siècle n'étaient pas une époque de rois, mais de dictateurs et d'idéologues. L'Église parle plutôt en termes de rois parce que c'est plus conforme le langage traditionnel de la Bible. Mais c'est évidemment un titre très paradoxal. Si nous appelons Jésus « roi », c'est un roi qui n'assujettit pas son peuple mais qui les libère, qui ne s'impose pas à eux mais qui leur lave les pieds, c'est un roi dont le trône est un gibet. Le terme « roi » n'est pas approprié pour décrire Jésus. En fait, quand Pilate lui demande « Alors, tu es un roi ? », Jésus détourne la question, il change le vocabulaire. « C'est toi qui dit que je suis roi » dit-il. « Je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. Tout homme qui appartient à la vérité écoute ma voix ».

Les gouvernements totalitaires, tous les idéologues, tous les dictateurs, essaient, comme tout le monde, de se justifier ; ce faisant, ils essaient de supprimer la vérité. Ils doivent essayer de la supprimer, parce que la vérité est trop grande et trop diverse pour eux. Elle est trop riche pour être conforme à une idéologie. Ils doivent déformer la vérité, mentir, faire taire ceux qui essayent de dire la vérité. Il y avait un historien maoïste en Chine qui a écrit une histoire de la Chine. Un de ses lecteurs a remarqué que certaines choses que disait cet historien n'étaient pas conformes aux faits historiques, et il lui a reproché ce manque de vérité. L'historien lui a répondu : « Si les faits historiques ne s'accordent pas avec la théorie marxiste, il faut changer les faits. » C'était au moins un idéologue honnête. Pour lui, l'important n'était pas de proclamer la vérité, mais de suivre la ligne du parti.

Le Christ, par contre, n'est pas venu imposer une idéologie, mais apporter de la lumière, rendre témoignage à la vérité. Suivre le Christ, être obéissant au Christ, c'est être fidèle à la vérité, c'est toujours chercher la vérité. L'adhésion au Christ n'a rien à voir avec le fait de suivre la ligne du parti. Parfois, même l'Église a été tentée de se comporter comme un état totalitaire, comme si elle devait imposer une idéologie : elle a fait taire, parfois de manière violente, ceux qui ne suivaient pas la ligne officielle, elle a déformé la vérité. Mais, quand l'Église agit de la sorte, elle n'est plus fidèle à sa vocation, elle n'est plus fidèle au Christ, son roi. Les chrétiens, ceux qui suivent celui qui est venu rendre témoignage à la vérité, ont toujours le devoir de chercher la vérité et de ne pas se laisser séduire par ce qui est moins que la vérité, par ce qui est partiel et partial. Si nous cherchons la vérité, nous pouvons nous tromper, bien sûr - nous pouvons tomber, même sur le bon chemin - et en la cherchant il faut profiter de la sagesse et de l'expérience des autres, mais c'est finalement notre responsabilité de rester fidèle, non pas à la tradition, non pas à la doctrine de l'Église, mais à la vérité elle-même. Parfois, il peut sembler y avoir un conflit entre le christianisme et la vérité ; certains aspects du christianisme peuvent nous sembler faux. Il faut toujours suivre la vérité. Nous ne pouvons pas rester fidèles au Christ en ne restant pas fidèles à la vérité ; mais si, par contre, nous insistons pour suivre le chemin de la vérité, nous restons forcément fidèle au Christ, même sans le savoir, car le Christ est la vérité.

1er dimanche de Carême, année B

Auteur: Moore Gareth
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : B
Année: 1999-2000

Convertissez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle.

Nous avons souvent entendu cet appel de Jésus. Toutes les semaines, mais surtout en carême, l'église nous invite à nous convertir, à ne plus pécher, à vivre dans la vertu et pas dans le péché. Parfois, nous écoutons cet appel et nous faisons un petit effort. Mais, pour la plupart, cela ne dure pas très longtemps. Nous retombons dans nos anciens péchés. Un des problèmes est que nous ne sommes pas, en général, de grands pécheurs. Nos péchés ne sont pas impressionnants, spectaculaires. Nous ne sommes pas des meurtriers habituels. Nos péchés sont quotidiens et médiocres. Ici, un petit manque de patience ; là, un petit manque de générosité. Si nous étions de grand pécheurs, nous pourrions faire un effort spectaculaire de conversion. Nous pourrions, avec beaucoup de force et d'énergie, rejeter le meurtre, décider d'éviter toute occasion de tuer. Mais nos péchés sont tellement petits, ils sont souvent là avant que nous ne les remarquions. Un geste presque automatique d'impatience, une phrase un peu dure, une phrase irréflechie, et nous voilà encore une fois dans le péché. Impossible d'être parfait. Et finalement, est-ce que c'est vraiment important de nous débarrasser de nos petits défauts ? On dit que le péché est une horreur, et il est vrai que le meurtre, le viol et l'oppression sont horribles ; mais nos péchés ne sont pas comme ça. Le langage de Jésus et de l'église semble un peu exaggéré et dramatique quand il s'agit de nos faiblesses quotidiennes.

C'est vrai. Il ne faut pas trop dramatiser quand on parle du péché ou des péchés de la plupart des gens. En plus, ces petits travers peuvent même être amusants, intéressants et satisfaisants. Même si nos péchés nous embêtent de temps en temps, ils peuvent nous attirer aussi.

Mais, il n'est pas tout à fait exact de dire la conversion, la pénitence, est un rejet du péché. Quand nous nous convertissons - si nous nous convertissons - nous ne nous détournons pas du péché. Nous nous tournons plutôt vers Dieu. Si la conversion est un concept important pour Jésus, ce n'est pas parce que le péché lui semble tellement laid ou horrible. N'oublions pas qu'il est très content d'être avec les pécheurs. L'importance de la conversion vient de la beauté de Dieu. Même si le péché n'était pas très intéressant, ce ne serait pas la peine de s'en détourner. Pour que nous regardions ailleurs, il faut quelque chose de plus attrayant, un meilleur bien, qui attire nos yeux, notre attention. Pour Jésus, c'est Dieu qui est plus attrayant, le plus attrayant. C'est lui qui attire, c'est lui qui satisfait nos désirs les plus importants et les plus profonds. Quand il parle de la conversion, c'est toujours la conversion vers Dieu. Il ne condamne pas le péché, il ne condamne pas les pécheurs, il leur offre quelque chose de meilleur, de plus attrayant, de plus satisfaisant. C'est pourquoi il dit : Croyez à la bonne nouvelle du royaume de Dieu. C'est seulement parce qu'il y a une bonne nouvelle, quelque chose de meilleur, qu'il vaut la peine de se convertir.

Le but de la conversion n'est pas un rejet. Un simple rejet nous laisse avec rien. Le but est plutôt de voir la beauté, l'attrayant, de Dieu. Et c'est important, parce que c'est Dieu qui est notre destin, pas le péché. Nous ne sommes pas faits pour le péché. Nous sommes faits pour Dieu. Tournons-nous vers lui.

Epiphanie

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps de Noël
Année liturgique : A, B, C
Année: 1999-2000

Et si c'était nous, tout simplement nous. Si nous nous étions mis à suivre une étoile plus lumineuse que toutes les autres. Si nous nous étions mis en marche à la quête de cette étoile, avec cette certitude intérieure qu'elle est venue se poser au-dessus de celui tant attendu. Si c'était nous, qu'aurions-nous pris avec nous pour un tel voyage ? Qu'aurions-nous apporter comme cadeaux à celui que nous pressentions comme l'enfant Dieu ? Voici une question parmi d'autres en cette fête de l'Epiphanie.

Le récit des mages n'a plus de secret pour personne. Au début de l'ère chrétienne, ils étaient douze, puis peu à peu ils sont devenus trois puisqu'ils n'y avaient que trois cadeaux. Ils ont été rois puis savants. L'un était vieux, l'autre d'âge moyen et le troisième beaucoup plus jeune, pour nous rappeler que toutes les générations sont présentes à la crèche. Ils sont venus d'Afrique, d'Orient et d'Occident pour rappeler que le monde entier est invité à suivre l'Enfant-Dieu. Enfin, l'or, la myrrhe et l'encens. Quelques versets et encore plus de symboles. Il y a 20 ans, ils ont fait la joie de la chanteuse Sheila et aujourd'hui encore et toujours, ils font le bonheur des enfants lors du partage de la galette des rois chez nous, ou encore en leur apportant des cadeaux comme en Espagne. La boucle est ainsi bouclée et nous revenons à notre question, mais quel cadeau pourrions-nous bien lui offrir ?

Un cadeau diront certains, c'est quelque chose qui doit faire plaisir à la personne qui le reçoit et ce peu importe ce que nous ressentons vis-à-vis de l'objet que nous offrons. L'important est d'offrir quelque chose qui rende l'autre heureux de recevoir. Non, affirmeront d'autres, un cadeau doit également dire quelque chose du donateur. Ce dernier ne peut pas être en contradiction avec son cadeau. De plus prétendront encore d'autres, un cadeau doit coûter. Un coût qui ne s'évalue pas spécialement en argent mais plutôt en temps. Un cadeau coûte, c'est-à-dire qu'il n'est pas pris sur notre superflu, sur notre surplus. Sa valeur augmente donc par le fait qu'il nous a obligé à faire des choix, à prendre du temps. Un cadeau est donc bien plus qu'un geste symbolique, voire même mécanique. Il dit quelque chose de la relation existante entre le donateur et celui qui l'a reçu. Il y dit toute la tendresse, le respect, la gratitude de l'offrant et c'est sans doute une raison et non des moindres qui fait que souvent nous préférons donner que recevoir. Un cadeau ne se réduit donc pas à un instant. Nous y avons réfléchi, nous avons fait des recherches, l'idée de l'offrir nous a rendu heureux et puis nous nous sommes aussi mis à imaginer la manière dont il allait être reçu. C'est pourquoi, je crois, les plus beaux cadeaux sont ceux qui n'ont aucune raison : ni anniversaire, ni Noël. Je t'offre ceci tout simplement parce que j'ai pensé à toi et je t'aime. Le don dit alors l'ampleur, la beauté et la profondeur de la relation. Et nous en arrivons presqu'à regretter de ne pas pouvoir donner aussi souvent. C'est vrai les cadeaux sont une manière que nous avons trouvé pour exprimer nos sentiments. Ils habillent notre pudeur à oser dire ce qui vit au plus profond de nous. Si un cadeau représente vraiment tout cela, nous pouvons comprendre que nous sommes parfois pris d'un vertige lorsque nous en recevons un.

Et voilà qu'aujourd'hui, nous sommes conviés à mettre nos pas dans les traces laissées par les mages de l'évangile. Dieu s'est fait enfant pour que nous venions nous aussi nous émerveiller devant un tel mystère qui dépasse tout entendement. Dieu se manifeste à nous d'une manière toute particulière et c'est dans cet enfant que nous Le reconnaissons. Jésus est l'enfant Dieu, c'est ce que nous croyons. Par sa venue, pour reprendre l'expression de saint Pierre Chrysologue, nous découvrons : « le ciel sur la terre, la terre dans le ciel ; l'homme en Dieu et Dieu dans l'homme ». Tant de merveilles contenues dans l'Enfant Dieu. Et ce matin (soir), nous sommes invités à refaire le voyage des mages. A la différence que le nôtre est tout intérieur. A nous de découvrir, redécouvrir cette étoile mystérieuse qui brille au plus profond de notre être, de nous mettre à la suivre pour retrouver le lieu de Dieu.

Et face à l'enfant Dieu sommeillant en nous, nous déposons chacune et chacun le cadeau que nous lui avons préparé : un peu de nous, tout de nous. Je ne puis répondre à votre place car ce cadeau-là est éminemment personnel.

Amen.

Epiphanie

Auteur: Moore Gareth
Temps liturgique: Temps de Noël
Année liturgique : A, B, C
Année: 1999-2000

Quand Jésus naît à Bethléem, il y a des bergers dans la même région. Ce sont des juifs, et la naissance du Christ leur est annoncée par des anges. Par le biais de ces anges, Dieu parle à son peuple comme il a parlé par Moïse et par les prophètes. Les mages ne sont pas juifs, ils appartiennent au monde dit païen. Ils habitent un pays lointain. Pour eux, il n'y pas d'ange qui leur annonce la présence de Dieu dans le monde. Ils n'ont qu'une étoile muette. Ils voient quand même l'étoile de Jésus, l'étoile du roi des juifs. Ils vont d'abord à Jérusalem annoncer l'apparition de l'étoile, puis ils la suivent jusqu'à ce qu'elle s'arrête au-dessus du lieu où se trouve l'enfant.

L'histoire est connue, mais elle n'est pas simple. Elle soulève quelques questions : Comment se fait-il que seuls les mages voient cette étoile ? Pourquoi les chefs des prêtres juifs et les scribes ne la voient-ils pas, eux aussi ? Peut-être qu'ils voient l'étoile mais pas ce qu'elle signifie. Une fois que les juifs comprennent sa signification, pourquoi n'accompagnent-ils pas les mages, pourquoi ne suivent-ils pas l'étoile, eux aussi, pour vénérer eux aussi leur roi ? Pourquoi Hérode ne les accompagne-t-il pas avec ses soldats pour assassiner l'enfant tout de suite ?

En lisant ce récit, on a l'impression que cette étoile est une étoile paradoxale. Elle apparaît dans le ciel, accessible à tout le monde, mais elle reste aussi cachée, de sorte que seuls ces quelques étrangers peuvent la voir, l'interpréter, la suivre. Bien qu'au ciel, loin au-dessus de la terre, elle peut indiquer aux mages qui la suivent le lieu précis où se trouve le petit enfant. Le phénomène publique qu'est l'étoile est en même temps, semble-t-il, un événement privé, un signe destiné uniquement aux mages. Bien que tout le monde puisse voir l'étoile, seuls les mages la comprennent. C'est uniquement aux mages que l'étoile révèle la présence du roi divin dans le monde, seulement aux mages qu'elle indique le lieu de sa présence. Dans un sens important, c'est leur étoile, l'étoile qui leur est destinée, qui s'adresse à eux. C'est une étoile muette, comme toutes les étoiles, mais elle leur parle. Plutôt, Dieu se révèle à eux par le biais de cette étoile comme il ne se révèle pas aux autres, ni juifs de Jérusalem ni aux milliers d'autres qui ont dû voir cette même étoile.

La fête de l'Épiphanie est censée être la célébration du moment où Dieu s'est révélé au monde non-juif. Dans ce récit évangélique, mystérieux et difficile à comprendre, il y a, me semble-t-il, une image de cette révélation. Nous vivons dans un monde publique, accessible, un monde plein de choses et d'événements que tout le monde peut voir, toucher, entendre. C'est un monde qui est plein de bruits mais qui, pour beaucoup, ne parle pas, qui reste muet. Si nous croyons que Dieu peut toujours se révéler dans ce monde, nous ne nous attendons pas à ce que des anges descendent du ciel annoncer la présence divine. Plutôt, il y a pour chacun de nous une étoile, quelque chose qui peut nous révéler la lumière de Dieu, un événement qui peut nous parler. Dieu peut s'annoncer à chacun de nous, à travers n'importe quoi - un sourire, une maladie, un bonheur, un malheur, même une étoile - même si, pour les autres, la chose ou l'événement reste muet.

A nous de garder nos yeux ouverts, d'être prêts à voir notre étoile, de la comprendre, de la suivre, jusqu'à ce que elle nous révèle le Dieu qui est né à Bethléem.