Amour de la règle ou règle de l'Amour. Voilà bien un dilemme auquel nous sommes toutes et tous confrontés quotidiennement. Nos vies sont parsemées d'un ensemble de lois dites ou non-dites d'ailleurs. Ces lois sont édictées par des hommes et des femmes en vue du bien de notre société et donc de tout un chacun. Elles nous protègent contre toute attaque, elles nous permettent de vivre ensemble et de nous respecter, elles sont des balises nécessaires pour canaliser nos égoïsmes respectifs, elles facilitent la rencontre humaine. Mais parfois aussi ces fameuses lois nous dérangent, elles n'ont plus de raison d'être, elles nous semblent dépassées voire même injustes. Quelles qu'elles soient, ce dont nous pouvons être assurés, même si n'aimons pas nous l'avouer, c'est que nos lois servent d'abord les valeurs de la classe dirigeante. Beaucoup d'entre nous seront vraissemblablement assez satisfaits, de voir en prison le petit voleur qui a cassé la vitre de notre voiture pour prendre l'auto-radio et s'indigneront sans doute moins de savoir ce qu'il advient de celui qui a détourné ne fut-ce que quelques millions dans une entreprise ou une banque. Dans ce dernier cas, il est vrai, notre sacro-sainte propriété privée n'aura pas été touchée. Malgré ce triste constat, les lois restent cependant nécessaires. Et ce n'est pas le juriste que je suis qui vais vous prétendre le contraire.
Pourtant, pourtant Jésus nous invite ce matin (soir) à prendre un peu de temps sur le sens des lois et à poser un nouveau regard sur elles. Pour ce faire, il repart de cette notion du sabbat : le sabbat a été fait pour l'homme et non l'homme pour le sabbat. Qu'est-ce à dire ? La clé de compréhension d'une telle affirmation se trouve dans notre première lecture tirée du Deutéronome. Dans ce texte, nous pouvons lire : « tu te souviendras que tu as été esclave au pays d'Egypte, et que le Seigneur ton Dieu t'en a fait sortir par la force de sa main et la vigueur de son bras. C'est pourquoi le Seigneur ton Dieu t'a commandé de célébrer le jour du sabbat ». Le sabbat est donc d'abord et avant tout le souvenir d'une libération. Ce jour devient de la sorte pour chacune et chacun d'entre nous, signe de le fête de la liberté. La loi selon le Christ ne peut donc pas être une loi qui enferme l'être humain mais plutôt une loi qui libère. Et Jésus nous convie donc à réfléchir sur toutes ces lois que nous nous imposons à nous-mêmes ou aux autres. Ces lois sont-elles là pour me rendre plus libre, pour libérer celles et ceux qui comptent pour moi ou bien sont-elles un moyen que j'utilise pour écraser l'autre de mon autorité c'est-à-dire mon autoritarisme, ou encore une manière de gérer mes propres frustrations, mes propres blessures. Ce que j'impose n'est donc jamais neutre. Il doit y avoir une raison. Parce qu'une loi sans raison perd sa raison d'être. Pour Jésus, c'est parce que les pharisiens se sont enfermés dans un code de lois stériles qu'ils en arrivent à passer leur temps à surveiller l'autre, à vérifier si les préceptes du texte sont bien respectés. Mais ces lois, vécues de la sorte, sont des lois stériles qui vont à l'encontre même de leur essence puisque ces êtres légalistes ne sont même plus capables de voir le bien, le merveilleux qui peut sortir d'une désobéissance ô combien justifiée en vue d'un bien meilleur. Leur dureté de coeur s'exprime et se résume dans leur amour de la règle.
Mais voilà que le Christ nous demande d'inverser cette dynamique : passons de l'amour de la règle à la règle de l'amour. Ce qui prime dans une vie ne doit jamais être la loi. Cette dernière n'est qu'un texte, une lettre morte si elle ne conduit pas à la vertu par excellence. La conduite de nos vies ne peut et ne doit jamais être guidée par l'amour de la règle. L'évangile, la vie de Jésus se résume dans la règle de l'amour. D'ailleurs si la règle de l'amour était le fondement de nos vies, il n'y aurait plus besoin de lois puisque l'amour serait partout. C'est sans doute une vue un peu trop idéaliste.
En tout cas ce qui est certain, c'est que ce matin (soir), nous sommes invités à choisir entre deux alternatives : amour de la règle ou règle de l'amour. L'un conduit à la mort, l'autre à la vie. A nous d'en décider. Amen.