5ème dimanche ordinaire

Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique: A
Date : 05 février 2023
Auteur: André Wénin

« Le juste ne craint pas l’annonce d’un malheur :
le cœur ferme, il s’appuie sur le Seigneur. »
(Psaume 112,7)

Lumière (Isaïe 58,7-10)

Partage ton pain avec l’affamé, fais entrer chez toi les pauvres sans abri, celui que tu verras sans vêtement, couvre-le, et de (celui qui est) ta propre chair, ne te cache pas. Alors ta lumière jaillira comme l’aurore, et ta guérison fleurira rapidement. Devant toi marchera ta justice, et la gloire du Seigneur fermera la marche. Alors, tu appelleras et le Seigneur répondra ; tu crieras et il dira : « Me voici ». Si tu éloignes du milieu de toi le joug, le doigt accusateur, la parole malfaisante, si tu offres à l’affamé ce que tu désires, et si tu combles le désir du malheureux, ta lumière écla­teras dans les ténèbres et ton obscurité sera comme le midi.

Ce bref passage est extrait d’un oracle où le prophète critique vertement l’attitude du peuple. D’une part, il ne cesse de se montrer religieux, consultant Dieu, cherchant la proximité avec lui dans le culte, lui demandant d’être juste, jeûnant à répétition ; d’autre part, dans la vie courante, il se montre plein d’injustice, de rapacité et de violence, tout en s’étonnant que Dieu ne réponde pas à ses actes de culte. Pour Isaïe, il s’agit de renverser la vapeur : seule la justice peut toucher le cœur de Dieu et donner sens au culte. « N’est-ce pas ceci, le jeûne que je préconise : dénouer les liens dus à la méchanceté, défaire le joug de l'esclavage, renvoyer libres ceux que l’on maltraite. Tous les jougs, brisez-les ! » (Isaïe 58,6). La lecture du jour est la suite de ce verset. Elle prolonge la description du jeû­ne qui plaît à Dieu.

Ce texte est marqué par la répétition du mot « lumière ». Pour le prophète, Israël vit dans les ténèbres à cause de son comportement. Il lui faut s’arracher à l’obscurité où il est enfermé à son insu, tant il pense être en règle en raison de sa sincérité religieuse. Jouir à nouveau de la lumière et devenir lui-même lumière dépend de son attitude concrète. Il s’agit d’abord de rencontrer les besoins du corps de ceux qui ne peuvent les satisfaire : ceux qui ont faim, ceux qui n’ont pas de toit où s’abriter, ceux à qui manquent des vêtements décents. La justice veut que l’on traite ces démunis comme s’ils étaient de « la même chair », c’est-à-dire comme des frères et des sœurs. Il y a ensuite les besoins plus larges de la personne humaine : ne pas vivre sous le joug d’autrui (liberté), ne pas être menacé ou accusé à la légère (doigt accusateur), ne pas être l’objet de calomnie ou de médisance (parole malfaisante). Tout cela accable et rend la vie invivable : cela doit donc être banni des rapports sociaux. Mais il y a plus. Tout être humain a des désirs légitimes et a le droit de les combler. La règle ici serait de combler cette faim à la mesure de ce que l’on désire pour soi-même.

Voilà le comportement susceptible de faire en sorte que la personne comme le peuple soient à nouveau sur la même longueur d’ondes que Dieu, de sorte que celui-ci puisse les guérir, les accompagner sur la route en les protégeant, réagir à leurs appels en répondant présent. Le psaume de méditation va dans le même sens (Ps 112,4-9) :

Une lumière éclate dans les ténèbres pour les gens droits, gens de grâce, de tendresse et de justice. Il est bien qu’un homme fasse grâce, qu’il prête, qu’il mène ses affaires selon le droit. Ja­mais il ne tombera ; toujours on fera mémoire d’un juste. Il n’a pas peur d’une annonce de malheur : son cœur est ferme, confiant dans le Seigneur. Son cœur est stable, il n’a pas peur, au point qu’il regarde ses adversaires en face. À pleines mains, il donne au pauvre ; à jamais se maintient sa justice, sa puissance grandira, et sa gloire.

Par rapport à Isaïe, le psalmiste énumère les qualités essentielles qui sont celles d’un « juste », de quiconque « craint le Seigneur » (verset 1). Ce sont les qualités même du dieu de l’alliance (voir par ex. Exode 34,6, Psaume 103,8) : la capacité de faire grâce, miséricorde ; la faculté de se laisser saisir aux entrailles ; la justice. Ces qualités se traduisent dans des actes, parmi lesquels le psalmiste mentionne le pardon, le prêt, l’honnêteté en affaires, la générosité dans le don. Voilà ce qui rend quelqu’un solide, confiant face au malheur, d’humeur égale, et « droit dans ses bottes » face à quiconque s’oppose à lui. D’une telle personne, de sa force, de son importance pour tous, on gardera mémoire.

Pourquoi le sage comme le prophète disent-ils que des humains de ce genre sont dans la lumière au point d’éclairer les ténèbres ? Sans doute parce qu’ils tranchent sur les ténèbres du monde. Le mouvement spontané de l’être humain est de se mettre au centre, de penser d’abord à son groupe, de chercher s’assurer un bel avenir, de prendre pour soi et, si nécessaire, de mettre les autres à son service, voire pire. Pour les prophètes et les sages de l’Israël biblique, cependant, une société n’est vraiment humaine que si ses membres sortent de ces ornières, de ces attitudes somme toute infantiles, pour cultiver une autre dynamique. Sa base est une justice distributive visant à assurer à chacun au minimum ce qui est nécessaire pour vivre. Mais il s’agit aussi d’aller au-delà et de se montrer capable de considération pour les personnes et de générosité dans le don, de manière à compenser les injustices et les violences générées par les comportements égoïstes spontanés.

Du goût et de la lumière (Matthieu 5,13-16)

[Jésus disait à ses disciples :] « C’est vous qui êtes le sel de la terre. Mais si le sel perd sa saveur, avec quoi redeviendra-t-il du seul ? Il n’est plus bon à rien, sinon à être jeté dehors et piétiné par les gens. C’est vous qui êtes la lumière du monde. Une ville située sur une montagne ne peut être cachée. Et l’on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais sur le lampa­daire, et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison. De même, que votre lumière brille devant les humains, de sorte qu’en voyant ce que vous faites de bien, ils rendent gloire à votre Père qui est aux cieux. »

Entrer dans la dynamique différente recommandée par les prophètes et les sages de l’Ancien Testament, c’est devenir un être lumineux en qui se révèle aussi quelque chose de la tendresse, de la miséricorde et de la justice de Dieu. C’est ce que suggère la finale du texte de l’évangile du jour : lorsque la lumière du disciple brille aux yeux de tous en raison du bien qu’ils répandent autour d’eux, la gloire en revient à Dieu qui, par sa parole, transforme les cœurs pour que les humains deviennent et restent sel de la terre et lumière du monde. D’où les mots de Jésus à ses disciples – que Matthieu répercute pour les lecteurs de son évangile. Il leur fait prendre conscience de ce qu’ils sont : ce qui donne du goût au monde, ce qui éclaire la maison commune. Cela leur donne une responsabilité : celle de ne pas s’affadir et de ne pas rester cachés, dans l’espoir que, de proche en proche, tous et toutes en viennent à faire le bien, pour la gloire de Dieu.

 

 
Bible et liturgie

Commentaires des lectures du dimanche par André Wénin

L’Église ne sait pas ce qu’elle perd à négliger le Testament de la première Alliance…

Les textes qu’on lira sous cette rubrique ne sont pas des homélies. J’y propose plutôt un commentaire, à mi-chemin entre une analyse exégétique et une lecture attentive à la fois au texte biblique et à la réalité humaine qui est la nôtre.
La traduction des textes commentés (le plus souvent les passages de l’Ancien Testament et de l’évangile) est très souvent corrigée. La version liturgique est globalement insatisfaisante, en effet. Elle lisse le texte au point d’en gommer les difficultés, c’est-à-dire précisément les points où peut venir "s’accrocher" le commentaire parce qu’ils posent question. Quant au texte de l’Ancien Testament, il est fréquemment amplifié de manière à restaurer le passage dans son intégralité en vue du commentaire. 

André Wénin